Au nom de l'égalité, réduisons les performances des meilleurs élèves

C'est l'un des projets les plus secrets du ministre de l'éducation Vincent Peillon, et pourtant l'un des plus ambitieux. Je ne peux révéler par quels contacts j'ai pu en avoir vent, car les personnes en question risqueraient de perdre leur place. Mais la controverse ne tardera guère à se nouer tant il s'agit d'une rupture radicale avec ce que nous avons l'habitude de penser comme la justice scolaire. Quel est ce projet ? Rien de moins que de réduire les performances des meilleurs élèves pour permettre une juste égalité des chances.

Tout part d'un constat très simple : certains élèves sont plus doués que d'autres pour les études. Ils ont des capacités qui leur donne un avantage injuste face aux autres, qui sont obligés de travailler pour espérer atteindre leur niveau, si cela est seulement possible.

Dès lors, une solution simple est proposée : réduire le niveau des meilleurs élèves afin que tout le monde ait sa chance. Par le biais de traitement médicamenteux, il est assez facile de réduire les capacités de concentration et de travail des meilleurs, afin de s'assurer que l'égalité des chances - qui est, rappelons-le, l'un des objectifs les plus importants du système scolaire - soit enfin de mise dans la compétition scolaire.

Ce projet se décline cependant différemment selon les sexes. On sait en effet que les filles s'en sortent mieux à l'école que les garçons. Dès lors, on comprend bien que si un garçon se trouve un peu trop avantagé par des capacités exceptionnelles, cela est parfaitement injuste vis-à-vis des autres garçons qui ne pourront espérer atteindre son niveau. De plus, il y a de bonnes raisons de douter d'eux : est-ce que ces garçons qui obtiennent de si bons résultats n'auraient pas quelques caractéristiques féminines qui les avantageraient ? On ne peut simplement laisser une telle inégalité se perpétuer. Surtout si cela provient de familles qui, jouant honteusement avec les règles les plus élémentaires de la sociétés, se risquent à éduquer les garçons comme des filles.

Dès lors, tout garçon qui obtiendra des résultats exceptionnels devra faire la preuve qu'il est bien un garçon et pas une fille plus ou moins déguisée. Il devra alors se soumettre à un traitement visant à ramener ses capacités au niveau de ce que doivent être celle des garçons : en fait, ses capacités intellectuelles devront simplement être ramenées à un niveau inférieur à celles des filles. Une légère lobotomie peut être envisagé, rien de bien grave.

Evidemment, il existe des cas particuliers : les "surdoués" et les personnes nés avec des caractéristiques sexuelles à la fois mâle et femelle. Plus de choix pour ceux-là : s'ils veulent bénéficier d'une éducation scolaire, ils devront se faire opérer pour rentrer dans les deux sexes que l'on sait gérer.

Vous trouvez tout cela complètement débile ? Vous avez raison. Personne de sensé ne se risquerait à faire de tels propositions, et certainement pas Vincent Peillon ou n'importe quel autre homme politique.

Et pourtant, c'est exactement ce qui se passe aujourd'hui, non pas dans la compétition scolaire, mais dans la compétition sportive. Les femmes qui ont des performances exceptionnelles doivent se soumettre, si elles veulent participer aux Jeux Olympiques, à des tests de féminité - non, parce qu'une femme doué en sport, ça peut n'être qu'un mec, hein, on connait le cas de Caster Semenya. Et, pire encore, elles vont devoir ramener certaines de leurs caractéristiques physiques, comme leur niveau de testostérone, en dessous du niveau des hommes (on se demande d'ailleurs quel "niveau" a été retenu : la moyenne ? la médiane ? est-ce que cela a seulement du sens ? non bien sûr). Lisez cet article (en anglais) pour plus de détails.


There are female athletes who will be competing at the Olympic Games this summer after undergoing treatment to make them less masculine.
Still others are being secretly investigated for displaying overly manly characteristics, as sport’s highest medical officials attempt to quantify — and regulate — the hormonal difference between male and female athletes.
Caster Semenya, the South African runner who was so fast and muscular that many suspected she was a man, exploded onto the front pages three years ago. She was considered an outlier, a one-time anomaly.
But similar cases are emerging all over the world, and Semenya, who was banned from competition for 11 months while authorities investigated her sex, is back, vying for gold.
Semenya and other women like her face a complex question: Does a female athlete whose body naturally produces unusually high levels of male hormones, allowing them to put on more muscle mass and recover faster, have an “unfair” advantage?
In a move critics call “policing femininity,” recent rule changes by the International Association of Athletics Federations (IAAF), the governing body of track and field, state that for a woman to compete, her testosterone must not exceed the male threshold.
If it does, she must have surgery or receive hormone therapy prescribed by an expert IAAF medical panel and submit to regular monitoring. So far, at least a handful of athletes — the figure is confidential — have been prescribed treatment, but their numbers could increase. Last month, the International Olympic Committee began the approval process to adopt similar rules for the Games.

La comparaison avec l'école n'est pas si étrange que cela : dans le sport comme dans l'éducation, l'une des questions centrales est celle de la justice et de l'égalité des chances. Le domaine sportif a précisément cette vertu qu'il s'emploie à produire, par tous les moyens, une compétition juste : par nature, un affrontement sportif doit être celui où "le meilleur gagne". Et les "règles du jeu" sont là pour le garantir. Lorsqu'il y a une entorse à celles-ci, la chose est particulièrement mal vécue : souvenez-vous, par exemple, de la main de Thierry Henry qui priva l'Irlande de coupe de Monde. Or l'école entend fonctionner de la même façon : ceux qui travaillent, font les efforts, et "jouent le jeu" doivent être récompensé. "Que le meilleur gagne !", et ce qu'il s'agisse d'une compétition contre soi-même, pour un examen comme le bac, ou contre les autres, lors des nombreux concours qui sont autant de portes d'entrée vers les filières les plus prestigieuses. Et, comme dans le sport, la prise de conscience que la compétition n'est pas égale, que certains sont favorisés, heurte de plein fouet notre sens le plus commun et le plus élémentaire de la justice.

Le sport, d'ailleurs, tolère très bien des inégalités de réussites et de performances très importantes, précisément parce qu'il est ainsi pensé pour mettre en scène la compétition juste. Mais, comme on peut le voir, notre sens commun de la justice connaît visiblement une limite importante : celle du genre... Penser que les hommes et les femmes puissent se trouver à ce point sur un pied d'égalité que l'on laisse certaines femmes avoir des performances qui se rapprochent de celles des hommes est inacceptable. Nous acceptons sans problème l'idée que certains hommes soient dotés de caractéristiques physiques naturelles qui leur permettent des performances exceptionnelles. Mais nous n'acceptons pas l'idée que des femmes soient elles aussi dotées de telles capacités : les femmes doivent rester des femmes !

Il est vrai que du jour où l'on a ouvert les compétitions sportives aux femmes, elles ont très vite rapprochés leurs résultats de ceux des hommes, comme l'illustre le graphique ci-dessous concernant le marathon (emprunté ici). Si on les laisser concourir contre les hommes, dans la même catégorie qu'eux, on imagine bien la menace : certaines pourraient être meilleures que des hommes ! Vision d'horreur. Après tout, elles l'ont déjà fait dans l'éducation.



Il est quand même assez amusant de voir qu'alors qu'on nous bassine avec le sexe comme une donnée naturelle que l'on ne saurait remettre en cause, blablabla, toutes ces belles paroles s'envolent dès lors que les "capacités naturelles" sont favorables aux femmes...

Bref. Un dernier mot sur l'école : il y a bien sûr une différence fondamentale entre la compétition scolaire et la compétition sportive. Dans le sport, il y a un vrai souci des "vaincus" : on échange les maillots pour montrer son respect mutuel, on se promet de revenir dimanche prochain ou dans quatre ans, de telle sorte que les vaincus d'aujourd'hui savent qu'ils pourront être les vainqueurs de demain, et vice-versa. Rien de tel dans la compétition scolaire : les "vaincus", ceux qui n'obtiennent pas leur diplôme, ne se voient proposer ni marque de respect, ni de deuxième chance. Pas nécessairement une nouvelle chance de repasser le même diplôme. Mais une deuxième chance de parvenir à trouver un emploi, un statut social ou autre en faisant des efforts ailleurs qu'à l'école... Le paradoxe est que nous refusons cela dans une compétition scolaire où l'on ne fait pas grand chose, par ailleurs, pour permettre l'égalité des chances.
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7 commentaires:

F.R a dit…

Une petite coquille "non pas dans la compétition scolaire, mais dans la compétition scolaire"...
Très bon article, as usual !

david a dit…

Je ne suis pas sur que ceux qui on remporter la competition des etudes est vraiment envie de rejouer le match ! Je ne vois pas la de paradoxe !

Seb a dit…

Il faudrait se demander pourquoi nous avons subitement un nouveau Dieu qui se nomme "Egalité", et pour lequel nous faisons des choses stupides. Ce que nous faisons pour nous soumettre à ce Dieu est finalement sans intérêt, ce n'est qu'une sous-conséquence du vrai problème. Essayez donc d'aborder le problème plutôt que ses conséquences, faites la même chose dans les autres billets, puis retirer le caractère de marchandise* à votre blog, et vous pourrez vous considérer comme un sociologue. Parti comme vous l'êtes, vous allez finir par avoir votre doctorat, décerné par le même système éducatif stupide que vous dénoncez, et donc sans aucune valeur (aucune valeur scientifique, mais bien entendu ça a une valeur pour rentrer dans la vie économique).

* Faut-il que j'explique pourquoi votre blog est une marchandise ? D'abord, c'est un blog, donc une forme à la mode de site web. Ensuite, son nom répond à des normes qui n'existent que dans une société capitaliste très développée (un mélange d'originalité et de fausse classe, de fausse poésie, ne surtout pas se demander pourquoi ce genre de nom fleuri partout alors qu'on ne voyait pas ça y'a seulement 50 ans). Ensuite il y a les encarts twitter et facebook (il faut avoir à l'esprit qu'au début du web, il y avait le site web, puis il y a eu le blog, puis le twitter/facebook, et qu'à chaque étape, le contenu se fait de moins en moins organisé, et de plus en plus pauvre, selon la logique même du système dans lequel nous vivons). Ensuite il y a les "trucs fun", tels l'avatar-dessin-animé, tel la photo du "Space Invader" (ce qui relaie le travail de ceux qui se font des simulations pour avoir l'impression de vivre).

Denis Colombi a dit…

@F.R : merci pour la remarque !
@Coulmont : merci pour la référence !
@david : je parlais plutôt de la façon dont on traite les perdants dans le sport, avec plus de respect et de considération que dans la compétition scolaire.
@Seb : Merci, j'ai bien ri en vous lisant.

Seb a dit…

J'ai bien ri en vous lisant, ou comment se représenter soi-même comme étant supérieur à son interlocuteur, par le biais d'une image spectaculaire bien connue. Sans rien comprendre de ce que l'on fait. En bref vous êtes génial.

Denis Colombi a dit…

Vous avez trop raison. Je suis convaincu.

Marcel Minnett a dit…

Deux petites coquilles, et deux remarques/questions :
"une femme doué "
"doivent être récompensé."

Sur le graph' : Le choix d'une discipline sportive basée sur l'endurance plutôt que sur la force exagère le rapprochement des performances,non? C'eut été plus éloquent sur des disciplines a priori masculines (virilité force, pilosité)?

Sur l'idée que " Nous acceptons sans problème l'idée que certains hommes soient dotés de caractéristiques physiques naturelles qui leur permettent des performances exceptionnelles."

Peut être faudrait-il nuancer cette proposition.
Des performances extraordinaires d'athlètes présentant des taux sanguins "hors normes antidopage" sont considérés comme dopés.. Quand bien même ce taux serait naturellement extra ordinaire.. et quel que soit leur sexe..

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